Arrivée à Jérusalem
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Cette citation de Rabelais, je l’ai entendue plusieurs fois au cours de mes études, puis il m’a semblé l’avoir oubliée. Mais elle m’est spontanément revenue lors de ma visite à Jérusalem. Je m’appelle Matthieu Egloff, je suis Médecin généticien et Maître de Conférences à l’Université de Poitiers, dans le Laboratoire de Neurosciences Expérimentales et Cliniques (LNEC, équipe INSERM U1084). En janvier de cette année, j’ai eu la chance d’être invité par l’Université Hébraïque de Jérusalem pour rencontrer mes collègues travaillant sur la même thématique de recherche que moi : l’autisme.
Alors qu’à Poitiers la grisaille semblait s’être installée depuis une éternité, ces quelques jours passés à Jérusalem m’ont offert un bain de lumière en plein hiver. C’est cette lumière intense, amplifiée encore par l’omniprésence des pierres blanches dans l’architecture de tous les bâtiments de la ville, qui m’a marqué dès l’arrivée et laissé une première impression en accord avec ce que serait le reste du séjour. L’histoire de Jérusalem est bien trop riche pour être appréhendée en quelques jours seulement, d’autant que mon séjour était rythmé de nombreuses rencontres scientifiques. Mais errer ne serait-ce qu’une demi-journée dans les labyrinthes de la vieille ville est déjà une expérience exceptionnelle. J’ai été frappé par le mélange de cultures, chacun semblant cohabiter en bonne intelligence et avec respect pour l’autre. De façon inattendue pour moi, c’est essentiellement un sentiment de sérénité que j’ai ressenti. Cette ville m’a permis de mieux appréhender l’aspect spirituel que l’on peut attribuer à certains objets ou lieux, que l’on soit ou non croyant ou pratiquant d’une religion. J’ai ainsi régulièrement été surpris par mes propres pensées au gré des promenades en ville. J’en reviens donc à la citation de Rabelais : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Si le sens premier de cette phrase paraît évident, il faut également la remettre dans le contexte de l’époque où elle a été écrite. Au XVIe siècle « science » désignait en fait tout type de connaissance, et « conscience » la compréhension. Il ne faut pas seulement savoir, mais surtout comprendre. Cette curiosité, qu’il faut avoir en sciences, ne peut que bénéficier d’exister également dans la vie quotidienne. Pour cela l’environnement où on se trouve joue un rôle majeur, en nous poussant à remettre en question nos propres croyances ou connaissances, à nous interroger sur ce qui pouvait sembler acquis. C’est en cela que Jérusalem est pour moi une ville extrêmement intéressante en tant que lieu de travail pour la recherche scientifique, fondamentale et médicale. Il est donc assez logique que ce soit une grande ville universitaire.
Découverte de l’ELSC
Connaissez-vous le « syndrome de l’imposteur » ? C’est un sentiment d’incompétence et de doute en soi-même et ses compétences. Une impression de ne pas être à sa place, se demander comment on est arrivé là. C’est un peu ce que j’ai ressenti en arrivant devant le centre de neurosciences, l’ELSC, sur le campus Safra de l’Université de Jérusalem. C’est un imposant bâtiment alliant architecture moderne et éléments traditionnels, érigé au somment d’une longue série de marche, baigné de cette lumière qui ne m’a pas quitté durant le séjour. Cet institut s’organise autour d’une grande cour intérieure plantée d’oliviers. Tout autour, des bureaux et laboratoires de recherche érigés sur plusieurs niveaux, avec étonnamment un seul escalier. Cet unique escalier est d’ailleurs très étroit : impossible pour deux personnes de passer de front. Il faut s’arrêter, se tourner… se parler. J’ai appris un peu plus tard que cela était volontaire : le but étant d’obliger les chercheurs de différentes équipes à se croiser, à échanger. Cela est d’ailleurs très cohérent avec l’esprit de l’ELSC : regrouper des chercheurs issus de différents domaines des sciences biologiques (telles que l’histologie, la génétique, l’électrophysiologie), mais aussi humaines et sociales. De plus, pour se rendre dans un laboratoire il est parfois nécessaire de traverser les locaux d’une autre équipe de recherche, forçant une nouvelle fois la discussion au gré de rencontres fortuites. Les équipes sont nombreuses, chacune pourvue de plusieurs chercheurs statutaires et d’étudiants en thèse et en master. Avant mon voyage, j’avais déjà connaissance du niveau de compétences qui ressortait des publications à fort impact international de l’ELSC. Cela s’est confirmé sur place où j’ai été impressionné par la qualité des recherches menées dans l’institut. Mon syndrome de l’imposteur aurait alors pu se développer… Mais au contraire il s’est rapidement estompé, car ma visite aura été, je le pense, mutuellement profitable.
Lors de longs entretiens individuels, j’ai eu l’occasion de rencontrer 7 chefs d’équipes, travaillant sur différents aspects des troubles de l’autisme. Tous étaient très ouverts à la discussion et enthousiastes à l’idée d’échanger des idées. Nous avons discuté de nos projets passés, en cours et futurs. Nous avons évoqué les possibilités de travaux collaboratifs entre nos deux instituts, car nos approches sur les troubles de l’autisme sont complémentaires sur certains aspects. Aussi, je tiens à remercier très sincèrement le Professeur Israël Nelken et toute son équipe à l’ELSC, pour leur accueil et la qualité de nos échanges.
Enfin, au fil des discussions, il m’est apparu que même si les équipes sont pluridisciplinaires à l’ELSC, elles ne sont pas organisées par thématique. Ainsi, certains chercheurs de l’institut travaillent sur divers aspects de l’autisme, mais n’échangeaient pas encore à ce sujet entre eux. Même dans un institut conçu pour favoriser la discussion et les rencontres, un échange international aura ainsi permis de créer de nouveaux liens, de mettre en contact des chercheurs et de développer de nouveaux réseaux locaux autour de l’autisme, en attendant de concrétiser nos discussions par des projets collaboratifs entre nos deux instituts.
La recherche sur l’autisme : de Poitiers à Jérusalem
L’autisme est un trouble neurodéveloppemental dont les premiers signes apparaissent dans l’enfance. Les patients présentent des déficits dans la communication et les interactions sociales, avec un répertoire de comportements, d’intérêts ou d’activités restreints et répétitifs. En France, l’autisme touche 1 enfant sur 100 et représente donc environ 700 000 personnes. Ces chiffres sont en hausse constante sans que l’on sache exactement pourquoi. En effet, même s’il existe maintenant un meilleur accès au diagnostic, il reste dans la plupart des cas difficile d’identifier une cause biologique. Pour cela, nos équipes de recherche au LNEC à Poitiers et à l’ELSC à Jérusalem travaillent sur l’identification de nouveaux critères cliniques et biologiques pour un diagnostic précoce et une meilleure prise en charge.
Une courte vidéo sur l’autisme, réalisée dans le cadre du « Printemps de la recherche » à l’Université de Poitiers : https://uptv.univ-poitiers.fr/program/printemps-de-la-recherche-2021/video/60846/image-mystere-8/index.html
Pour en savoir plus sur mes travaux actuels sur le rôle de l’épigénétique dans l’autisme : https://www.fonds-alienor.fr/wpd-projects/etude-marqueurs-epigenetiques-autisme/
Je souhaite remercier chaleureusement l’Université Hébraïque de Jérusalem ainsi que les amis français de l’université, qui ont rendu possible cette rencontre entre nos deux instituts de recherche. Je remercie une nouvelle fois le Pr Nelken et ses équipes de l’ELSC. Enfin, je remercie le Fonds Aliénor du CHU de Poitiers qui soutient mon projet, ainsi que le Laboratoire de Neurosciences Expérimentales et Cliniques du Pr Jaber, où je réalise mes travaux de recherche.
Écrit par Matthieu Egloff (mars 2023)